Il s’agit d’une décision insoutenable sur le plan juridique et très grave – de par la réitération de ces tribunaux belges – sur le plan politique. Non seulement pour le Royaume d’Espagne, mais aussi et spécialement pour l’Union européenne. Daniel Berzosa et Teresa Freixes :  LA JUSTICE BELGE CONTRE L’UNION EUROPÉENNE

Le 17 août 2020 est paru dans le journal El Mundo un article de Daniel Berzosa et Teresa Freixes, dans lequel les auteurs traitent de la sentence du tribunal belge qui rejette l’exécution du mandat d’arrêt européen émis par le Tribunal Suprême.

Daniel Berzosa est professeur de Droit constitutionnel et Teresa Freixes est titulaire d’une Chaire Jean Monnet à titre personnel

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Bandera de la UE

LA JUSTICE BELGE CONTRE L’UNION EUROPÉENNE

Daniel Berzosa et Teresa Freixes

 18.08.20

 La sentence récente du Tribunal de première instance de langue néerlandaise de Bruxelles de rejeter l’exécution du mandat d’arrêt européen émis par le Tribunal Suprême d’Espagne (sa plus haute autorité judiciaire) contre le citoyen espagnol et européen Lluís Puig Gordi constitue une violation de la législation de l’Union européenne, un affront à la justice et à la démocratie espagnoles, et une agression à la construction de l’Espace européen de Liberté, de Sécurité et de Justice.

Il s’agit d’une décision insoutenable sur le plan juridique et très grave – de par la réitération de ces tribunaux belges – sur le plan politique. Non seulement pour le Royaume d’Espagne, mais aussi et spécialement pour l’Union européenne. Outre le fait que l’État qui reçoit un mandat d’arrêt européen ne peut pas réviser l’interprétation du tribunal de l’État qui l’émet selon son droit procédural (pour être contraire aux principes de reconnaissance et confiance mutuelle), la ratio decidendi  de la sentence sur la question-clé part d’une interprétation erronée du « cas Claes », contre la Belgique, sur le juge naturel prédéterminé par la Loi en relation avec les règles des sujets intervenants d’un procès et la compétence pour les intégrer, selon le droit procédural espagnol.

C’est comme si un tribunal belge émettait un mandat d’arrêt européen qui doive être exécuté en Espagne et qu’un tribunal espagnol le refuse parce qu’il estime juridiquement inapproprié le fait que la législation belge envisage la possibilité d’édicter des sentences à huis clos (comme cela s’est passé dans ce cas) ; c’est-à-dire sans respect de la publicité exigée par l’article 6 de la Convention européenne des Droits humains, puisque la non-publicité est inacceptable dans le droit procédural espagnol, où les garanties procédurales et le respect de la Convention européenne des Droits humains sont des exigences indispensables du système judiciaire. Peut-être quelqu’un devrait-il transmettre ces sentences belges au GRECO (Groupe d’États contre la corruption) pour voir si elles s’intègrent dans une démocratie basée sur l’État de Droit.

Pour revenir à cette mascarade de sentence, à partir de l’erreur signalée, elle appuie juridiquement sa décision finale sur l’opinion d’un groupe de travail du Bureau du Haut Commissariat des Droits humains. C’est-à-dire qu’elle transforme une impression, une opinion d’un groupe de travail, en source de Droit supérieure au Droit de l’Union européenne et de ses États membres. Incroyable, délirant et inacceptable.

Il est tout aussi inouï que le tribunal belge n’admette pas la compétence du Tribunal suprême espagnol pour réclamer Monsieur Puig en se basant sur le fait que ce tribunal n’est pas compétent pour le poursuivre. En Droit procédural espagnol, lorsque des mêmes faits sont présumés commis par des personnes privilegiées par leur fonction et non privilegiées{aforadas y no aforadas}, cette connexion empêche qu’elles soient jugées par des organes distincts et, selon le Droit pénal, tout comme cela se passe avec l’inscription au jury de délits connexes, les affaires avec des personnes privilegiées englobent ceux qui, sans l'être, ont participé avec un lien factuel à la commission du crime.

Donc, pour que cela soit clair pour tout lecteur et, si c’était possible, pour les législateurs du Parlement européen,  maintenant qu’ils semblent se disposer à réexaminer le mandat d’arrêt européen :

  1. Un Tribunal d’un État membre ne peut réviser l’application des normes de compétence judiciaire d’un autre État membre.

  1. Dans le cas qui nous occupe, le tribunal belge a encore moins de compétence pour se prononcer sur la connexion de l’individu réclamé par le Tribunal suprême espagnol par rapport aux autres accusés privilégiés {procesados, aforados} précisément par ce Haut Tribunal.

  1. La décision du tribunal belge est arbitraire et donc contraire au Droit, par manque d’une quelconque base européenne de loi ou de jurisprudence. Cette décision doit donc être révoquée. Rappelons que le parquet belge lui-même a fait appel.

Par ailleurs, cette résolution semble révéler un problème structurel de la Justice belge ; où on ne peut pas choisir la langue de la procédure, mais bien que le tribunal soit de langue néerlandaise ou française. Il n’est plus possible de soutenir que c’est par hasard que ce type de délinquants choisissent des tribunaux de langue néerlandaise ; car toujours – et toujours c’est toujours – ils concluent en leur faveur, même lorsque c’est contre le Droit applicable le plus élémentaire. Il se peut qu’il n’y ait pas intentionnalité mais cela provoque des suspicions, étant donné qu’il ne semble pas exister d’expertise en langue néerlandaise des personnes réclamées. Et ce serait mieux que ces suspicions n’existent pas.

Les torsions constantes de la justice belge pour protéger les fugitifs de la Justice espagnole qui s’auto-désignent comme prisonniers politiques non seulement offensent la décence et l’intelligence de tout juriste, mais aussi, et c’est le plus grave, elles attaquent le Droit et celui de l’UE en particulier ; ainsi que le processus d’intégration européenne.

Les prononcés de la Justice belge en relation avec d’autres fugitifs espagnols, comme maintenant avec Monsieur Puig, étaient déjà inacceptables. Avec cette dernière sentence, arbitraire de toute évidence, le mandat d’arrêt européen a été blessé à mort et on a franchi le Rubicon des piliers d’une construction honorable d’une Union européenne basée sur la reconnaissance, le respect et l’observance mutuelle des systèmes juridiques des États qui l’intègrent.

Le Gouvernement espagnol devrait se prononcer sur une affaire qui a cessé d’être une question de nuances dans l’application du Droit et s’est transformée en une attaque de son État social et démocratique de Droit, en vigueur en Espagne depuis la Constitution de 1978. D’Espagne, un pays qui – et quelle ironie ! – est reconnu devant la Belgique dans les standards les plus hauts du respect des droits humains.

Les européistes, les Gouvernements des États spécialement impliqués dans cette construction et les institutions européennes devraient aussi se manifester ; car ce qui est en jeu, c’est non seulement un espace judiciaire commun mais la construction même de l’Union européenne.

Source Diario  del Derecho: Daniel Berzosa y Teresa Freixes: LA JUSTICIA BELGA CONTRA LA UE

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