Les fondateurs de ‘Basta Ya’ clarifient pour J-C.Juncker les ‘confusions’ sur la Catalogne


Photo: Cérémonie de remise du prix 2000 : ¡BASTA YA! – 2000, Espagne (1)

En mon nom personnel et au nom de l'Amitié Européenne Universitaire, je partage et je soutiens cette lettre adressée par les fondateurs de la Plate-forme civique ¡Basta Ya! à Monsieur Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne.

Monsieur Jean-Claude Juncker
Président de la Commission Européenne
Rue de la Loi / Wetstraat 200
1049 Bruxelles

3 octobre 2017

Cher Monsieur,

Nous nous adressons à vous en tant que fondateurs de la Plate-forme civique ¡Basta Ya!, reconnue par le Prix Sakharov de l’année 2000 pour sa défense des libertés dans le Pays Basque. Comme citoyens espagnols et européens, nous sommes très préoccupés par la confusion concernant ce qui se passe en Espagne en lien avec la Catalogne. Nous ne voulons pas assister en silence à la substitution des faits par la propagande et les émotions manipulées par un gouvernement régional indépendantiste en rébellion ouverte contre la démocratie espagnole et les Traités européens.

Excusez-nous si nous commençons par énumérer quelques évidences :

1. Les citoyens de Catalogne, comme tous ceux d’Espagne, votent fréquemment, en accord avec les règles démocratiques ; en Catalogne, 6 fois au cours des 5 dernières années. Il est complètement faux de dire qu’on les empêche de voter.

2. Les autorités catalanes ont enfreint leurs propres lois : au cours des sessions parlementaires des 6 et 7 septembre, elles ont empêché l’opposition d’exercer ses droits parlementaires de présenter des amendements et de débattre la loi exprès, inconstitutionnelle, prévoyant l’organisation d’un referendum d’autodétermination.

3. L’éducation autonomique a été systématiquement utilisée pour endoctriner dans la haine envers l’Espagne, pour diffuser le suprématisme catalan et discriminer les étudiants parlant le castillan (plus de la moitié). Les étudiants ont été utilisés par le gouvernement catalan pour des manifestations et des actes publics en faveur de l’indépendance, allant jusqu’à la fermeture, par décision du Gouvernement régional, des centres scolaires et universitaires pour favoriser leur présence.

4. La Catalogne est une des régions les plus prospères d’Espagne et ses citoyens jouissent d’un niveau de vie élevé et d’un des plus hauts degrés d’autonomie gouvernementale des régions d’Europe. La région de Catalogne n’a jamais été une entité politique indépendante. Elle a été un ensemble de comtés qui fit partie de la France, et ensuite du Royaume d’Aragon, jusqu’à ce qu’elle fusionne dynastiquement avec le Royaume de Castille en 1492 pour créer l’Espagne actuelle.

5. Le parti qui a gouverné traditionnellement en Catalogne (actuellement PDCat) utilise depuis 30 ans l’argent public, apporté par tous les Espagnols, pour promouvoir son agenda séparatiste, tout en accusant l’Espagne de ses compressions dans les politiques sociales, éducation et santé, avec l’accusation “Espanya ens roba” (l’Espagne nous vole).

6. Ce même parti a ses dirigeants les plus importants– deux d’entre eux ex-présidents, Jordi Pujol et Artur Mas – accusés de corruption politique, et il s’est financé de façon continue grâce à un système corrompu connu comme le 3 %, minimum que les entrepreneurs devaient payer pour accéder à tout contrat public. L’enquête judiciaire de ce montage corrompu a coïncidé, et non par hasard, avec l’accélération du processus séparatiste, avec l’espoir de sauver de la justice espagnole les responsables de cette action.

7. L’Espagne est une monarchie parlementaire et sa Constitution peut être amendée par les procédures prévues, y compris une réforme qui tiendrait compte du droit à l’autodétermination de parties du territoire, droit aujourd’hui aussi inconstitutionnel que dans tous les pays de l’UE, sans exception.

8. Un vote sur une sécession territoriale comme celui que promeut le gouvernement catalan exigerait, pour être démocratique, la participation de tous les Espagnols, parce que ce qui appartient à tous, l’Etat et le territoire, doit faire l’objet de décision de tous.

9. Le séparatisme porte atteinte à la démocratie : il a rompu de manière unilatérale et violente (il n’y a pas de rupture de l’ordre constitutionnel qui ne le soit pas) avec la légalité espagnole et autonomique, et il s’est embarqué dans une campagne pour présenter le gouvernement central comme “maléfique” pour ne pas autoriser un referendum illégal, déclaré inconstitutionnel par notre Cour suprême.

Par rapport aux événements du 1er octobre, nous trouvons incompréhensible qu’on qualifie d’“erreur” ou de “maladresse” le fait que les forces de l’ordre exécutent les ordres judiciaires pour empêcher la tenue du referendum déclaré illégal. On peut discuter l’opportunité de l’instruction judiciaire, mais l’action de la police a été proportionnelle et est celle qui est habituelle dans tous les pays européens dans des cas semblables.

La police autonomique catalane, les Mossos (avec 17.000 personnes et des compétences de police intégrale), a boycotté activement l’exécution des ordres judiciaires, a favorisé les désordres publics et dans certains cas s’est opposée aux Forces de Sécurité de l’Etat (Police nationale et Guardia civil), qui a eu 431 blessés au cours de ce qui fut loin d’être “une journée pacifique de manifestation nationale”. Les réseaux informatifs et les media subventionnés par le gouvernement catalan, soutenus par le réseau habituel proche du gouvernement russe, ont diffusé systématiquement des fausses images de violence et déformé les faits.

Le gouvernement régional catalan a agi, et continue à agir, comme une organisation consacrée à faire un coup d’Etat. L’administration autonomique s’est attachée à donner une couverture politique et un appui matériel à des groupes organisés qui agissent en rébellion ouverte contre l’ordre constitutionnel, allant jusqu’à l’occupation de centres scolaires, le blocage de voies de communication, des attaques aux forces de police espagnoles, et l’intimidation généralisée de la partie majoritaire de la société catalane en désaccord avec cet état de choses.

La “répression brutale” dont on parle s’est soldée par un total de deux personnes hospitalisées, dont une personne âgée qui a eu un infarctus. Quant aux “blessés”, que les séparatistes évaluent à environ 800, ce sont en réalité des personnes “servies” par les services sanitaires sur la voie publique, y compris ceux qui ont été affectés par des lipothymies, des crises d’angoisse et des irritations pour des inhalations de fumée. La manipulation propagandiste, basée sur le fait de scandaliser les bons sentiments de personnes qui ignorent ce qui s’est passé, n’a pas de précédent dans l’Espagne démocratique et renvoie à l’histoire des régimes totalitaires des années trente et quarante.

Finalement, nous voulons souligner que toute l’Europe serait très négativement affectée si les plans séparatistes finissaient par s’imposer. L’Espagne n’est pas le seul pays membre de l’Union européenne avec des tensions séparatistes, et la possibilité de déroger à sa Constitution et à son intégrité territoriale par le fait accompli – suivant un scénario qui rappelle l’explosion de l’ancienne Yougoslavie – affecterait tôt ou tard beaucoup d’autres Etats, en finissant avec le magnifique projet d’une Europe libre de nationalisme destructeur et xénophobe à l’intérieur de ses propres frontières. Nous croyons que c’est le moment pour les institutions européennes d’appuyer l’Espagne pour rétablir l’ordre constitutionnel et les règles de la démocratie dans une partie du pays, et de l’Union européenne, contrôlée par une administration séditieuse et une classe politique corrompue.

Recevez nos salutations cordiales.

Fernando Savater, Carlos Martínez Gorriarán, María San Gil, Rosa Díez, Maite Pagazaurtundua

-oOo-

(1) ¡BASTA YA! – 2000, Espagne

¡BASTA YA! est une initiative citoyenne contre le terrorisme et la violence politique au Pays basque espagnol, créée en 1999 par des intellectuels, des militants politiques et des droits de l'homme, des syndicalistes et d'autres représentants de la société civile.

¡Basta Ya!, dont le nom signifie «Ça suffit!», a été fondée en réaction au groupe terroriste basque Euskadi Ta Askatasuna (ETA) et à la menace pour les libertés civiles et les droits fondamentaux, en particulier ceux des citoyens «non nationalistes», que représentaient ce groupe et d'autres partis plus modérés mais de plus en plus nationalistes et xénophobes.

Les membres de ¡Basta Ya! venaient de divers horizons idéologiques, mais tous se sont engagés à combattre le terrorisme sous toutes ses formes, à soutenir les victimes du terrorisme et de la violence politique et à défendre l'état de droit, la constitution espagnole et le statut d'autonomie du Pays basque.

¡Basta Ya! a bénéficié d'un soutien sans précédent dans toute l'Espagne, en 1999 et en 2000, alors qu'un mouvement d'indignation s'élevait contre l'ETA, qui avait tué des centaines de personnes dans différentes régions du pays et fait des milliers de victimes dans tout le Pays basque par la voie d'intimidations, d'extorsion, de chantage et d'agressions, y compris à l'encontre des membres des familles des victimes et de leurs biens.

Le mouvement s'opposait à toute forme de nationalisme et critiquait également les autorités du Pays basque pour leurs politiques et leur rhétorique nationalistes. Au cours de deux grandes manifestations organisées par ¡Basta Ya! en 2000, c'est une véritable marée humaine qui a défilé dans les rues de Saint-Sébastien en demandant des mesures adéquates pour vaincre le terrorisme et faire respecter la Constitution.

Le mouvement ¡Basta Ya! a été récompensé par le Parlement européen cette même année pour ses actions en faveur des droits de l'homme, de la démocratie et de la tolérance au Pays basque. Non seulement cette récompense a apporté une reconnaissance à ¡Basta Ya! pour ses initiatives, mais la question du terrorisme au Pays basque a commencé à être envisagée comme un problème européen et non plus seulement espagnol. ¡Basta Ya! a reçu le soutien d'organisations internationales des droits de l'homme, et d'autres pays ont classé l'ETA dans la catégorie des groupes terroristes.

Ces dernières années, ¡Basta Ya! a changé de nature; en effet, la situation a évolué en Espagne, l'ETA ayant déclaré renoncer définitivement à l'action armée en 2011.

Les dirigeants de ¡Basta Ya!, y compris son porte-parole Fernando Savater, qui représentaient le mouvement au Parlement européen et pendant les conférences du réseau du prix Sakharov, ont créé en 2007 le parti politique «Union, progrès et démocratie» (UPyD) sur la base d'une plate-forme de soutien à l'unité de l'Espagne.

Ce parti est actuellement représenté au Parlement européen. Les membres de ¡Basta Ya! sont persuadés que les idées et l'esprit du mouvement perdurent dans la lutte actuellement menée par d'autres en faveur des droits de l'homme.

Source : ¡BASTA YA! – 2000, Espagne

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