J.M. Rodríguez Olaizola, sj : "Si Saint Ignace revenait"
Si certains regrettent que la Compagnie de Jésus ne soit plus celle d’avant, cela s’appelle de la nostalgie. Mais nous, les jésuites, et nos compagnons ignaciens, « Amis dans le Seigneur » comme nous-mêmes (1), ce qui doit nous mouvoir c’est l’espérance.
| Edit. Salvador GARCÍA BARDÓN
Si Saint Ignace revenait
C’est devenu une habitude assez commune dans certains milieux de critiquer les jésuites du simple fait de ne pas être d’accord avec une certaine opinion d’un certain jésuite. Alors, on commence à entendre des commentaires du type « les jésuites ont définitivement perdu le nord », « que peut-on attendre des jésuites (et Bergoglio est le pire », ou l’inévitable « Si Saint Ignace revenait ». On suppose que, dans l’opinion de ces commentateurs, si Saint Ignace revenait il mourrait de chagrin. Et que à partir de Arrupe tout fut décadence. Mais la vérité ce n’est pas cela.
Si Saint Ignace revenait, il serait probablement content de voir que nous, ses compagnons, nous cherchons toujours à travailler pour le Royaume de Dieu, dans un contexte très différent de celui qu’il a connu. Que, entre nous, il continue à y avoir des efforts – et parfois des tensions (pas besoin de lui rappeler les désaccords qu’il a eus avec Bobadilla ou d’autres) ; que nous ne voyons pas toujours les choses de la même manière, et parfois il faut se battre pour qu’elles changent (le type de vie religieuse que lui-même a imposé n’était pas bien vu à son époque et il a dû pour cela livrer certaine bataille ecclésiale forte, et il l’a fait) ; que nous ne somme pas esclaves du « on a toujours fait comme ça », comme lui-même ne l’a pas été (au point que la première intuition d’une Compagnie nomade a été corrigée, du temps même d’Ignace, par la stabilité des collèges).
Nous, les jésuites d’aujourd’hui, nous ne sommes ni meilleurs ni pires que ceux d’avant. Nous continuons à chercher dans les exercices spirituels à nous approcher de l’évangile et de la rencontre personnelle avec le Christ, car c’est lui que nous suivons. Nous continuons à avoir dans la spiritualité de l’incarnation (et dans le regard vers la réalité qui en découle) un défi pour dialoguer avec un monde qui a ses propres dynamiques. Le conflit pour ce dialogue n’est pas nouveau non plus (faut-il le rappeler aux défenseurs des rites malabars et de la liturgie, à la fin du XVIIème siècle ?). Et elle n’est pas neuve non plus, la polémique que la Compagnie de Jésus a toujours générée dans certains secteurs (celle d’aujourd’hui est falote en comparaison avec les Lettres Provinciales de Pascal et la controverse d’alors sur la morale). Nous continuons d’essayer d’être présents sur des frontières différentes (et oui, parfois c’est complexe, parce qu’il y a beaucoup plus d’intempéries sur les frontières). Nous prions. Nous célébrons. Nous croyons. Nous cherchons Dieu. Nous partageons la vie dans nos communautés. Nous accompagnons des personnes. Nous éduquons. Nous souhaitons être fidèles. Et oui, nous nous trompons aussi et nous péchons, mais il s’avère que ce qui est le plus insensé dans ce monde, c’est ce que Dieu appelle.
Nous sommes moins nombreux ? Oui. C’est en partie notre responsabilité ? Certainement. Si Saint Ignace revenait, il nous réprimanderait ? C’est sûr. Mais bon, ça c’est son caractère (il suffit de lire les mémoires du Père Cámara et voir comment cela se passait avec ses collègues pendant les années romaines). Évidemment il y a beaucoup à améliorer en nous – toujours -, et nous devons trouver le chemin pour être plus transparence de l’évangile de façon à ce que d’autres puissent se sentir invités à partager ce chemin. Mais les nostalgiques d’une autre époque, qui sont toujours en train de comparer les chiffres des années 40, 50, 60, 70… en quelque sorte sont aveugles. C’est toute notre société qui a changé. Et toute notre Église qui se réduit (à cause de tellement de motifs qu’il ne nous revient pas ici de les analyser). Si le regret de certains c’est que la SJ ne soit pas celle d’avant, cela s’appelle de la nostalgie. Et nous, ce qui doit nous mouvoir, c’et l’espérance.