Francis Delpérée : L’AUTODÉTERMINATION PERSONNELLE

QUELS PRINCIPES, LIMITES ET MÉTHODES ?

Francis Delpérée renonce à sa candidature, 2019.

Le meilleur hommage que je puisse rendre a mon Ami et Collègue Francis Delpérée, au moment où il renonce à envisager un nouveau mandat politique,  est de mettre en valeur l’autoportrait qu’il nous procure ici même en affirmant: 

« L’autodétermination {personnelle} ne saurait inciter au repli sur soi. Elle ne représente pas le summum de l’individualisme. Elle doit jeter les jalons d’une solidarité consciente et voulue. La maîtrise de soi, comme on disait jadis, encourage la rencontre de l’autre. Elle développe une conscience aigüe des enjeux collectifs et sociaux. »

Salvador García Bardón

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Francis Delpérée

L’AUTODÉTERMINATION PERSONNELLE :

QUELS PRINCIPES, LIMITES ET MÉTHODES ?

30 de abril a las 17:46 · 

1. Dans les années ’50, le terme d’autodétermination a fait fureur dans les milieux internationaux. Faut-il s’en étonner ? Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été érigé en principe politique, notamment dans l’article 1er, § 2, de la Charte des Nations Unies de 1945.

Ce droit présente deux facettes. Externe et interne. Il revient, d’abord, à un peuple de choisir librement son statut : celui de l’indépendance ou celui de l’union avec un autre État. Il lui appartient, ensuite, de déterminer librement le régime politique qui lui convient et de choisir ses propres dirigeants.

En pratique, ce principe a été associé au phénomène de la décolonisation, en Asie, au Maghreb et dans l’Afrique subsaharienne. A la suite de la chute du mur de Berlin, il a aussi accompagné le mouvement de libération (et de libéralisation) des États de l’Europe centrale et orientale.

Par un singulier raccourci intellectuel, l’autodétermination qui profite aux peuples va, à la fin du XXe siècle, quitter la sphère des affaires internationales pour s’inscrire au plus intime de la conscience humaine.

Chacun y croit dur comme fer. Moi comme les autres. J’ai le droit de disposer de moi-même. J’ai le droit de choisir librement les modes de penser, de vivre et d’agir qui me conviennent. J’ai la faiblesse de considérer qu’ainsi sélectionnés, ils contribueront à mon épanouissement personnel et social.

Qui va contester le droit à l’autodétermination ? Qui va hésiter à le présenter comme élémentaire, illimité et universel ? Je n’entends pas qu’autrui — un ami, un voisin, un inconnu —, encore moins une autorité publique, me dicte ma conduite et m’impose ses façons de voir. Je veux être « seul maître après Dieu ». Et même, dans une perspective anarchisante, n’avoir « ni Dieu, ni maître ». Je me détermine à agir. Je veux faire ce que j’ai choisi, en toute autonomie, de faire. Mieux encore : je le fais.

Évidemment, c’est « à mes risques et périls », comme le rappelle à bon escient, dans ce numéro, Anne Jaumotte. La sagesse populaire l’enseigne. « Qui ne risque rien n’a rien ». Comme tout un chacun, j’ai des talents — dans un domaine ou dans un autre —. Quel gâchis si je ne les exploite pas, si je n’explore pas des chemins nouveaux, si je ne me lance pas dans des aventures qui peuvent à terme se révéler hasardeuses.

« Je pense donc je suis », disait Descartes. Et s’il fallait renverser la formule ? « Je suis, donc je pense, j’agis et je me conduis ainsi que je le juge bon ».

2. « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». L’on connaît la formule d’un autre philosophe aux premières lignes du Contrat social. L’autodétermination des personnes ne serait-elle qu’une chimère ? Au pire: l’opium du peuple ou celui de chacun de ses membres ?

Comment ne pas l’admettre ? Mon autonomie est affectée de sévères limites. Elle entend me conférer des droits. Mais elle me procure aussi des devoirs, indique Hélène Eraly: pas de détermination utile sans intelligence, ni clairvoyance. Elle me confronte encore à un ensemble d’obstacles.

Il y a les limites physiques. Mieux que d’autres, l’aîné connaît les vicissitudes de l’âge. En termes de santé (sous tous ses aspects) ou de mobilité, par exemple. Il s’interroge à juste titre. Comment préserver une part d’autodétermination malgré les dépendances et les épreuves de tous ordres qui me menacent ou qui m’accablent ?

3.Il y a les limites économiques. Le « panier du pensionné », pour utiliser une image chère à Enéo, est, en perma- nence, sur la table. Plein ou réduit. Mais toujours présent pour vérifier la marge de manœuvre que m’offrent les moyens dont je dispose, y compris sous la forme d’une pension.

Il y a surtout les limites sociales. La déclaration française de 1789 le proclamait déjà. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4). Mon libre arbitre doit se concilier avec celui de mon voisin. La vie en société implique une conciliation d’une infinité de libres arbitres. Les techniques de méditation — « connais-toi toi-même », a dit un troisième philosophe — auxquelles se réfère Sylvie Martens peuvent m’aider à rencontrer ces préoccupations et à construire des solutions acceptables pour tous.

L’autodétermination est relative. Mais elle s’apprend. Elle se cultive. Elle se construit. Il y a des méthodes — oserai-je dire : des recettes — pour la protéger et la développer. Le numéro de Balises que l’on va lire a le mérite d’engager cette réflexion mais aussi de fournir une boîte à outils.J’en choisis trois, à titre d’exemples.

Je dois apprendre à maîtriser le temps . « Gouverner, c’est prévoir », dit-on. Il en va de la gestion de la chose publique comme de celle des choses domestiques. Je prépare ma retraite. Je compose un carnet de vie. Je rédige un carnet-relais aux fins de faire connaître mes volontés (pas nécessairement les dernières) sur un certain nombre de sujets. Je répertorie dans un carnet-santé les données médicales et pharmaceutiques qui me concernent. Je modifie, en temps voulu, mes habitudes sans cultiver la nostalgie et sans avoir la conviction d’abandonner l’essentiel. L’homme ou la femme est « le maître des horloges ». Pourvu qu’elles soient réglées sur la bonne heure !

Je dois apprendre à maîtriser l’espace. Celui-ci s’est peut-être rapetissé. Le passage de la maison à l’appartement est un classique du genre. L’entrée dans une maison de repos ou dans un établissement de soins sont aussi à l’ordre du jour. Et que dire des habitats groupés ou partagés ? Ici aussi, il y a lieu de changer à temps d’habitat, voire de lieu de vie. Pour recréer un espace à la mesure de mes besoins et de mes moyens. Pour contribuer aussi à ma manière au respect de l’environnement et du climat. Les aînés peuvent être chauds !

Je dois apprendre à maîtriser les activités. Celles que j’ai menées durant la vie professionnelle et celles que je découvre et expérimente après l’avoir quittée. Celles que je suis à même d’accomplir et celles pour lesquelles j’ai besoin de précieux concours. Celles que m’offre une plus grande liberté du temps et celles qui réquisitionnent plus qu’avant mes énergies.

L’autodétermination ne saurait inciter au repli sur soi. Elle ne représente pas le summum de l’individualisme. Elle doit jeter les jalons d’une solidarité consciente et voulue. La maîtrise de soi, comme on disait jadis, encourage la rencontre de l’autre. Elle développe une conscience aigüe des enjeux collectifs et sociaux.

Francis Delpérée, Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, Président fédéral d’Énéo.

Source:L’ÉDITO: "Balises", le journal des cadres d'EnéoÉnéo, mouvement social des aînés asbl

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